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Faulkner à la folie
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16 septembre 2011

1949, discours d'acceptation du Nobel

Il ne veut pas y aller, mais sous la pression il cède. Ses proches lui mentent sur le moment du discours pour essayer de l'empêcher de boire. Peine perdue. Il marmonne, on le comprend à peine. Il faudra attendre le lendemain et sa publication dans les journaux pour qu'on reconnaissance la valeur de son discours.

"I feel that this award was not made to me as a man but to my work, a life’s work in the agony and sweat of the human spirit. Not for glory and least of all for profit, but to create out of the materials of the human spirit something which did not exist before. So this award is only mine in trust. It will not be difficult to find a dedication for the money part of it commensurate with the purpose and significance of its origin. But I would like to do the same with the acclaim too, by using this moment as a pinnacle from which I might be listened to by the young men and women already dedicated to the same anguish and travail among whom is already that one who will some day stand here where I am standing."

Faulkner_accepts_Nobel_1_

"Mesdames et messieurs,

J’ai le sentiment que cette récompense n’a pas été attribuée à l’homme que je suis, mais à son travail. Le travail d’une vie, dans l’agonie et dans les suées de l’esprit humain, non pour la gloire et encore moins pour le profit, mais pour la matérialisation, fruit de l’esprit humain, de ce quelque chose qui auparavant n’existait pas. En fait, cette récompense, je l’emprunte seulement.

Il ne sera pas difficile de consacrer l'argent de ce prix dans un but lié à la raison et à la signification de son origine. Je souhaiterais, également, faire de même pour les éloges, en me servant de cet instant comme d’un sommet, à partir duquel je pourrai être entendu par les jeunes hommes et jeunes femmes déjà dévoués à la même angoisse et à la même tâche ; parmi eux se trouve aussi celui qui se tiendra un jour ici, à ma place.

Aujourd’hui, la tragédie de notre époque n'est qu'une peur physique, générale et universelle, si longtemps subie, qu’il nous devient même possible de la supporter. On ne traite plus des problèmes de l’esprit. Il n’y a plus qu’une seule question : Quand vais-je disparaitre ? A cause de cela, le jeune homme ou la jeune femme, se consacrant à l’écriture, a oublié toutes les difficultés du cœur humain, toujours en conflit avec lui-même. cela seul produit la bonne écriture, cela seul en vaut la peine, la peine de l’agonie et des suées.

Il doit s’instruire de ces difficultés, réapprendre que la base de toute chose est d’avoir peur ; comprendre cela et l'oublier pour toujours, en laissant uniquement, dans son œuvre, de la place pour les vérités du cœur et ses savoirs anciens. Ces vérités universelles dont l’absence condamne une histoire à n’être qu’éphémère – l’amour, l’honneur, la pitié, la fierté et la compassion et le sacrifice. Jusqu’à ce qu’il y parvienne, il peinera sous le joug de la malédiction. Il écrit la luxure et non l’amour, les défaites où personne ne perd grand chose, les victoires sans espoir et, pire que tout, sans la pitié ni la compassion : son chagrin, alors, ne pleure pas sur l'universelle dépouille et ne laisse aucune cicatrice. Il n’écrit pas du cœur mais des glandes. Jusqu’à ce qu’il réapprenne ces choses, il écrira comme s’il assistait, au beau milieu, à la fin de l’homme.

Je refuse d’accepter la fin de l’homme. Il est possible d’affirmer que l’homme est immortel simplement parce qu’il endurera cela: car lorsque à la fin, de la plus ordinaire des pierres, se répercuteront les ultimes tintements, suspendus dans les dernières lueurs rougeâtres du crépuscule, il perdurera aussi une vibration - celle de sa voix indéfectible et chétive, parlant encore. Je refuse de l’accepter. L'homme, je crois, ne fera pas que le supporter, il l’emportera. Il est immortel, non parce qu’il est le seul, parmi toutes les créatures, à avoir une voix indéfectible, mais parce qu’il a une âme, un esprit capable de compassion, de sacrifice et d’endurance. Le devoir du poète, de l’écrivain, est d’écrire toutes ces choses. Son privilège est d’aider l’homme à endurer, en développant son cœur, en le nourrissant de courage, d’honneur, d’espoir, de fierté, de compassion, de pitié et de sacrifice, qui furent la gloire de son passé.

La voix du poète ne doit pas seulement être un témoignage, elle doit être pour l’homme l'un de ses étais, les piliers qui l’aideront à endurer et à vaincre."

Faulkner donnera la somme reçue afin "d'établir un fonds de soutien aux nouveaux romanciers", qui devindra le PEN/Faulkner Award for Fiction.

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